Des toros à Nîmes
Enfin une corrida qui réconcilie avec la tauromachie
Par Paul Bosc
Lassé de ces Ferias aux encastes uniques, abruti par ces faenas aux cambiadas et redondos incessants, énervé par ces toros sans cornes, sans force qui s'affalent et se dégonflent comme des baudruches après un picotazo. Saturé par ces toreros qui font la pluie et le beau temps, qui choisissent leurs toros et font les mécontents quand ils trouvent que cela ne tourne pas rond. Marre de s'ennuyer aux arènes quand on a payé une somme rondelette, assis sur des planches mal jointes, ou des pierres. J'ai ignoré la Pentecôte nîmoise pour toutes ces raisons. Et prêt à ne plus mettre les pieds dans une arène.
Mais Sébastien Castella et son solo face aux Adolfo Martin a titillé mon aficion et je voulais revoir Thomas Joubert après ses succès à Arles et Istres. Allez tant pis, l'aventure reste l'aventure.Si, malgré quelques points forts comme le tercio de piques avec Gabin à la belle ouvrage au 4e Adolfo Martin, la faena au ralenti de Sébastien face au second, les banderilles de Marco Leal et Morenito d'Arles, je n'ai pas beaucoup vibré par la prestation des toros ni celle du torero qui a chaque fois échoué en portant les armes. Six toros et seulement 2 oreilles, le bilan est plutôt léger pour ce garçon qui est sorti par la grande porte des arènes de Madrid et qui est considéré comme l'un des plus grands toreros actuels. Bref, j'étais presque au bord de la rupture et prêt à boucler mon baluchon pour repartir dans mon ermitage.
Puis sonnent à 11 h 30 pétantes les clarines qui ouvrent la corrida de ce dimanche 18 septembre 2016 où défilent Juan Bautista (châtaigne et ors) qui remplace Roca Rey blessé, Mari Manzanares (violet et ors) et Thomas Joubert (blanc soutenu de noir) qui confirme son alternative. Dans le toril attendent 4 Victonario del Rio et 2 ganaderia de Cortes (même propriétaire) qui seront désignés pour Thomas.
C'est le torero arlésien récipiendaire qui débute ; l'autre Arlésien étant le parrain de la cérémonie. Thomas Joubert s'impose avec le capote et après les deux piques réglementaires et la cérémonie d'investiture, il entame sa faena, droit comme un « i », sans brusquerie avec cet aplomb, ce courage qui inspire le respect. Sa tauromachie est encore à parfaire, il faut effacer quelques scories, éliminer certaines improvisations, mais il sait faire passer un sacré courant entre lui et le public. La tension est palpable sur les gradins car le Cortes n'est pas du genre facile, plutôt teigneux et vicieux même.Puis au sortir d'un pecho Thomas glisse, chute et a le réflexe de rouler sur lui-même pour éviter les coups de cornes. Un sabot lui marche sur le visage et il était certainement inanimé quand le Cortes le jette par dessus ses cornes. Le torero retombe lourdement. Il ne bouge plus. On craint le pire quand il est conduit à l'infirmerie. Déjà lors de son alternative arlésienne, quand il portait le nom de Tomasito, il avait subi une cornada qui l'avait tenu éloigné des arènes et il avait renoncé à toréer pendant une temporada. Sa tauromachie est unique, laissant penser qu'il est insouciant face au danger et montrant un visage fermé qui fait penser aux photographies de Manolete.
C'est Juan Bautista qui lui succède. Il aurait pu éviter la faena et éliminer l'animal rapidement mais ce n'est pas dans le genre de la maison. Il dessinera une faena complète avant de coucher le Cortes et être appelé à saluer.
José Mari Manzanares voit sortir le premier des Victoriano del Rio. Le vent qui souffle sur la piste le gêne mais il coupera 1 oreille après quelques séries de haute qualité qui sont les marques de ce torero et que le public connaît maintenant par cœur et une estocade par recibir. Retour de l'Arlésien Juan Bautista qui coupe lui aussi 1 oreille montrant son envie de nouveau triomph
Manzanares s'énerve contre le vent et ne parvient pas à creuser l'écart avec Juan Bautista (ovation).
C'est ici que la corrida devient éblouissante, extraordinaire, sensationnelle. Une corrida qui enthousiasme, qui fait mouiller les yeux de bonheur, qui réconcilie avec une tauromachie qui donne des émotions, la chair de poule qui fait que ce spectacle ne peut rivaliser avec aucun autre. Une corrida-vérité. Une corrida-bonheur. Juan Bautista sait d'entrée que ce Victoriano peut lui ouvrir la porte des Consuls. Il attaque avec franchise, baisse la tête dans l'étoffe, attaque le picador avec franchise et garde la gueule fermée jusqu'à son dernier souffle de vie.
Juan Bautista pose les banderilles, la deuxième paire au quiebro près des barrières, la troisième « al violin ». La faena sera intense avec des séries de derechazos et de naturelles dessinées comme une aquarelle et agrémentées de quelques passes de fantaisies. Le concerto d'Aranjuez accompagne le maestro dans son rythme et sa lenteur. Le public clame son bonheur.
La perfection n'est, peut-être pas de se monde mais la tauromachie de Juan Bautista s'en approche. Là aussi une estocade en recevant la charge du toro libère l'angoisse et la caste du toro s'affichera en résistant longuement à mettre les genoux en terre.
Les 2 oreilles et la queue récompenseront l'artiste. Une vuelta posthume accompagnera la dépouille du Victoriano del Rio et pendant la vuelta du matador, le mayoral suivra les pas de la cuadrilla. Un enfant viendra en piste porter un bouquet d’œillets rouges en échange d'un des trophées obtenus.
Mais l'émotion était encore là, présente avec le retour en piste de Thomas Joubert qui a eu la mâchoire fracturée par son premier toro. Son courage, sa détermination seront payants. Le 6e toro est à nouveau de la ganaderia Cortes, assez lourd, mais plus conciliant que son frère. Il permet des audaces artistiques que n'hésitent pas à utiliser le torero d'Arles. Sa passivité n'est qu'apparente. Il ose tout, frôlant la blessure à chaque séries. Il conquiert le public, il domine le toro. C'est beau ! On ne voudrait plus que cela s'arrête. On reviendra voir Thomas Joubert. On l'aime déjà. Il ne reste qu'à conclure. Lui aussi tente le recibir. Et le réussit. Le public réclame les deux oreilles et la présidence les accorde. C'est du délire pendant sa vuelta. On l'acclame ; on lui jette des fleurs et des chapeaux. La corrida est redevenue une fête où l'on pleure et où, malgré les dangers, on est heureux. C'est rare de nos jours.
Pendant que Manzanares et ensuite Thomas Joubert quittent la piste vers la porte des cuadrillas, Juan Bautista est porté en triomphe vers la grande porte. Celle des Consuls.