Noblesse extême
On connait la compétence professionnelle du vétérinaire Hubert COMPAN pour la race Brave, ainsi que l'intérêt assidu qu'il porte à certaines encastes.
Aujourd'hui, Hubert nous propose une chronique sur "la noblesse extrême". Un sujet qui, replacé dans le plus large contexte du caractère de la Race Brave, pourrait animer nos futures tertulias d'hiver en les recentrant sur les fondamentaux de la corrida, sans oublier le versant culturel affirmé qui les caractérise.
C.C.
Lundi 20 mai 2018 à Nîmes, 1er Jandilla pour Thomas Joubert - Photo Michel Chauvierre
Une Chronique d'Hubert COMPAN
J’ai participé à la Féria de la « monoencaste » : Garci Grande, Juan Pedro Domecq, El Cuvillo, Jandilla, tandis qu’à Vic sortaient des toros des « encastes minoritaires ».
J’étais au départ optimiste car ces 4 ganaderias Domecq produisent depuis quelques années des toros mobiles qui durent et qui plaisent aux figuras.
Mais à Nîmes seule la corrida de Jandilla a tenu ses promesses, ne parlons pas des clones de Garcigrande tous annoncés à plus de 500 kg ( ?...), parlons des Juan Pedro et des Cuvillo qui en général rassemblent des qualités de bravoure et de noblesse extrême : à la sortie ils galopent, après 1 ou 2 tours de piste ils mettent la tête dans le capote, le museau au sol, ils se retournent comme des chats, avec de très forts appuis sur les antérieurs puis ils partent au cheval la tête baissée qui le plus souvent passe sous le ventre et le carapaçon, et malgré la volonté du picador de ne pas trop blesser, la 1ére pique dure plus de 10 secondes. La 2ème pique est furtive. La majorité des toros ont gardé de la mobilité aux banderilles puis dés le début du 3éme tercio, tous ont connu des graves pannes de moteur pour une tauromachie de frustration qui parfois a fait illusion : je pense à Ponce avec ses muletazos en position de danseur étoile qui arrivent à porter sur le public…2 oreilles !
En conclusion je reprends le commentaire le plus utilisé par les chroniqueurs taurins à Madrid, à Séville, à Nîmes comme à Vic : les toros ont « manqué de fond »
Jamais je n’avais vu une telle inflation de trophées non justifiés, même dans les pueblos les plus reculés.
Alors pourquoi cette faiblesse qui avait tendance à disparaitre : le « manejo », la sélection ?
Un ganadero m’avait dit il y a peu de temps : le « manejo » est plus important que la sélection.
Des erreurs du « manejo » ?
L’alimentation : il n’y a plus de mauvaises formules d’aliment TDL, ils se ressemblent tous, et ils sont tous depuis une quinzaine d’années supplémentés en acides gras de palme qui entrainent un surpoids inutile de 30 à 40 kg : les piensos actuels sont formulés avec 5% de matière grasse, c’est trop, c’est inutile, il faut revenir à des formules à 3% de matière grasse.
Les glucoformateurs et anti oxydants : après nos travaux de recherche avec l’INRA nous avons expliqué les effets positifs sur la résistance et la « duracion » d’une alimentation enrichie en glucoformateurs et antioxydants. De plus en plus de ganadero appliquent ces recommandations mais qui sont parfois difficiles a mettre en œuvre dans le quotidien de l’élevage.
La sélection :
La régularité des caractères de noblesse et de « toréabilité » est extraordinaire dans ces grandes ganaderias, tellement que des la 2ème passe de « capote » le torero a tout compris de son toro.
A son 2ème Juan Pedro Juan Bautista à enroulé le toro autour de ses chevilles sans bouger pour une série de passes de capote phénoménale, chose que je n’avais jamais vue, mais quelle dépense d’énergie !
Il ne faut pas oublier qu’un toro dans sa vie n’a jamais eu l’occasion de produire de tels efforts, comme il n’a jamais eu l’occasion de lever un cheval sur sa tête !
La noblesse extrême on continue à la voir au cheval, on voit aussi la bravoure dans l’impact et la durée des mouvements de levier de bas en haut. Dire que le toro a été peu piqué, alors qu’il est resté la tête sous le caparaçon plus de 15 secondes est une erreur d’appréciation.
La noblesse on continue à la voir dans la muleta avec de nombreuses « vuelta de campana » qui cassent le rythme.
Alors cette noblesse extrème, avec ses conséquences sur le comportement au capote, au cheval, puis à la muleta peut-elle être considérée comme une dérive de la sélection ?
A l’occasion d’une rencontre dans les salons de l’Impérator avec le représentant de la ganaderia « Pedreza de Yeltes » Jose Ignacio Sanchez, j’avais retenu que le ganadero avait orienté sa sélection sur des toros qui poussent à la pique, et lorsqu’on observe le trapio et la hauteur au garrot on comprend pourquoi la position de la tête reste plus haute dans le contact avec le cheval. De même les toros de Miura avaient la réputation de « viser » le cou du cheval, ce comportement n’est-il pas seulement lié à la taille des Miura ?
Voila à quelles réflexions nous entraine une féria 2018 sans grandes émotions. Il y eu toutefois une novillada très intéressante avec du gabarit, de la taille, de la mobilité, et la sauvagerie qui caractérise le « manejo » de la ganaderia Pages Mailhan
La corrida « Partido de Resina » : 2 toros sur 6 et des applaudissements à l’arastre qui m’ont étonné.
Il y a eu aussi la despedida de Padilla que le public nîmois a salué avec joie, son estocade a son 2ème toro a fait lever 10000 spectateurs et comment expliquer aux autres une telle ovation quand le toro s’est écroulé ?
Padilla fait pari de ces toreros qui, s’ils ne sont pas de grandes « figuras », nous laissent des souvenirs indélébiles comme Paquirri, Nimeno, Victor Mendes, Cesar Rincon, El Fundi etc . Je les compare, et ce n’est pas de la nostalgie, aux joueurs de tennis des années 80 : Mac Enroe, Connors, Borg, Ivan Lendl etc., ils étaient autre chose que de grands toreros ou de grands champions.
Ultime souvenir de Nîmes 2018 : le seul vrai « manso » de la monoencaste, le n° 6 d’origine Jandilla, véritable marathonien qui a passé son temps à chercher la sortie, à fatiguer les cuadrillas, pour au final être toréé efficacement sous la présidence par Alvaro Lorenzo. Un vrai manso de temps en temps ça fait du bien aux aficionados !