L’état de grâce de l’INDULTO
A l’aube de la nouvelle saison taurine, il est bon de faire un léger retour en arrière pour analyser un de ses résultats les plus intéressants, celui du nombre de toros graciés, ceux qui ont bénéficié de l’indulto et des remarques qui peuvent être faites au regard des statistiques des temporadas précédentes. Si l’on s’arrêtait au résultat brut de l’année 2018 on pourrait penser qu’une mode est en train de s’installer dans la corrida moderne, celle de l’indultitis qui est le mot nouveau utilisé – inventé et ironique – pour nommer la «maladie» de l’indulto qui semble envahir les arènes françaises et espagnoles et conduit les publics les plus divers à (ré)clamer la grâce d’un toro brave ou qui, en tout cas , a permis au torero de briller et de signer une faena qui se veut ou se voudrait historique.
On me pardonnera le jeu de mot du titre de cet article qui traduit, en fait, l’illusion d’une mode alors que le tableau ci-dessous et le suivant montrent que, à de faibles différences près, le nombre des toros graciés est en moyenne de 19 par an avec des pics en 2011 et 2017. Il faut aussi remarquer que ces statistiques commencent après 2007 qui est l’année record du nombre de corridas célébrées de toute l’histoire et par conséquent du nombre de toros mis à mort dans les arènes européennes. Les dix années suivantes, l’Europe traversant la crise économique que l’on sait, marquaient un net déclin du nombre de corridas et, en 2017-2018, on enregistrait une baisse de ≥ 50% par rapport à 2007 du nombre de spectacles de corridas formelles. On en déduit que le nombre de toros graciés a facilement doublé ces dernières années en proportion avec le total des toros combattus.
Le deuxième tableau (*) est aussi significatif si l’on observe que le nombre de toros graciés est nettement plus important dans les places de 3ème catégorie – c’est-à-dire les arènes de villages ou cités qui ne sont pas capitales de province qui sont, elles, de 2ème ou 1ère catégorie. Comme on le sait, le règlement taurin espagnol (BOE – 145/1996 – 2 février – Article 83) n’autorise l’indulto que dans les places de 1ère et 2ème catégorie compte tenu de la demande majoritaire du public, de la demande expresse du matador au président de la course et l’assentiment de l’éleveur ou mayoral de l’élevage auquel appartient le toro concerné. On notera une anomalie propre aux compétences administratives conférées aux régions autonomes espagnoles, comme c’est le cas de l’Andalousie qui possède son propre règlement taurin et qui, dans un de ses articles, autorise l’indulto dans les places de 3ème catégorie ! Malgré la règlementation, on voit bien que la majorité des toros graciés le sont dans les plazas de 3ème catégorie, sans que soient sanctionnés les présidents qui sont parfois eux-mêmes les représentants de la loi et de l’ordre et qui officient au palco présidentiel (les maires ou conseillers des municipalités où se déroule le spectacle, leurs invités et personnalités que l’on veut honorer de cette responsabilité temporaire, aficionados reconnus qui sont censés ne pas ignorer ledit règlement, etc.)
(*) Les colonnes Catégorie Places et Elevages concernent seulement l’indulto de Toros.
Les deux phénomènes cités précédemment nous amènent à quelques réflexions qui montrent l’évolution de la tauromachie à la fois en quantité et en qualité. Bien que le nombre net de toros graciés au cours des dix dernières années ne varie guère, c’est bien la proportion par rapport au total des toros toréés qui a doublé et principalement dans les arènes de 3ème catégorie. C’est bien dans ces arènes que le nombre de toros et de novillos graciés est le plus élevé. L’explication est la réduction dramatique des novilladas au cours de la dernière décade qui ramène à des proportions encore plus transcendantes le nombre des toros graciés (et aussi selon les statistiques, des novillos ayant été graciés exclusivement dans des places de 3ème catégorie au cours de ce dernier lustre). Dans le même règlement cité plus haut, les conditions requises pour accorder l’indulto sont « le trapío et l’excellent comportement de l’animal dans toutes les phases de la lidia, sans exception, ayant pour effet de son utilisation comme semental et préserver dans sa maximale pureté la race et la caste des animaux» (de cette espèce, sous-entendu les toros de combat. NDLR). Le règlement français de l’UVTF, dans son article 84, va dans le même sens. Il est donc évident et obligatoire que, par leurs connaissances taurines, le président et ses assesseurs soient en mesure de juger les conditions physiques et comportementales du toro pour user du mouchoir orange qui signifiera la décision de la grâce. Il n’en va pas toujours de même en ce qui concerne le public, pas toujours connaisseur du règlement et sans les appréciations techniques requises pour reconnaître au toro, son trapío et sa bravoure aux trois tiers de la lidia et l’épargner de la mort. Justement, il est reconnu que la bravoure d’un toro se manifeste lors du tercio de varas (règlementairement de deux piques, minimum dans les arènes de 1ère catégorie) mais on le sait, ce tercio de piques est habituellement escamoté et de surcroît dédaigné par le public qui n’ «apprécie» que la faena de muleta. Dans ces conditions il est difficile de juger en toute équité de la qualité essentielle de la bravoure du