Le 17 mai 1964, El Cordobes, le torero Cordouan signait une faena explosive dans les arènes Nîmoises.
Pour la première fois la magie d’une émotion partagée qui vous empêche de quitter les arènes. Je suis dans l’incapacité de me souvenir précisément de la faena, j’avoue même ne plus me souvenir de la ganadéria..et le flou rajoute encore à l’émotion rétrospective. De ce jour j’ai su, malgré l’ignorance totale dans laquelle j’étais de la tauromachie, que je venais de m’enchaîner à un culte bien plus passionnant à mes yeux que ceux que je connaissais et que je retournerai sans fin aux arènes pour le célébrer..
Témoignage d’une aficionada à la sortie de la corrida
( Article pris sur ‘’ Plaza Pasiòn de toros’’, spécial cinquantenaire féria de Nîmes )
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Le 17 mai 1964, le torero Cordouan signait une faena explosive dans un climat de délire collectif. Une date majeure de l'histoire taurine nîmoise.
Combien de temps les spectateurs, une fois la corrida terminée et le maestro déjà loin de la piste sans doute, sont-ils restés debout sur les gradins, abasourdis par le choc qu’ils venaient de vivre ? Et combien de temps, dans le périmètre des arènes, sur le boulevard qui ceinture le monument ou sous l’horloge du lycée, ont-ils attendu, médusés, avant de quitter le lieu, sans trop savoir d’ailleurs vers où ils marchaient ? Impossible de le savoir ou de s’en souvenir.
Le 17 mai 1964, dimanche de Pentecôte. Le soleil inonde les arènes, à la tribune présidentielle siègent l’ancien président de la République Vincent Auriol et son épouse (à laquelle d’ailleurs le torero César Giron dédiera le combat d’un toro) et l’écrivain Marc Bernard. La feria embrase les rues. El Cordobés lui, vers 17 h 30, devant le dernier toro de l’après-midi, va provoquer une déflagration. Un véritable séisme. Au cartel de cette corrida, le matador vénézuélien César Giron, Paco Camino et El Cordobés, et dans les corrales, un lot de toros de Felipe Bartolomé. Trois semaines avant sa venue à Nîmes, El Cordobés, déjà, avait secoué la planète taurine, en coupant deux oreilles et la queue à un pensionnaire de la ganaderia de Carlos Nuñez, aux arènes de Séville. Et la feria de Pentecôte attendait à son tour de s’enthousiasmer. Elle le fit au-delà de toutes limites.
Deux oreilles coupées, déjà, à l'issue de son premier combat
Si Paco Camino coupa au cours de la journée une oreille et si El Cordobés, face à son premier adversaire, avait déjà obtenu deux récompenses dans un tonnerre de clameurs, c’est avec le toro de Juan Pedro Domecq, sorti de sobrero, en clôture de la corrida, que tout bascula. Indescriptible paraît le terme le plus approprié pour qualifier le quart d’heure qui suivit sa sortie en piste. Tant par les séquences que le torero improvisa et composa que par la progression dramaturgique de la faena.
Avec la muleta, dans tous les terrains, le maestro servit des séries d’un caractère inventif et baroque, en marge de tous les canons de la tauromachie classique, qui, au fur et à mesure que sa domination sur le toro devenait implacable, transformèrent vite les gradins des arènes en cratère bouillonnant. Avec des enchaînements inédits (pour l’époque), des combinaisons de passes jamais vues jusqu’à ce dimanche de Pentecôte à Nîmes (ou ailleurs), El Cordobés, avec un poignet lui permettant de conduire son adversaire dans un circuit au parcours inouï, créa une œuvre libérant une folle charge émotionnelle.
Quinze minutes de pouvoir hypnotique sur le toro
Après quinze minutes de pouvoir hypnotique sur le toro, le maestro, dans une tentative de manoletina, fut alors pris par le pensionnaire de Juan Pedro Domecq et jeté au sol. Se relevant avec une rage folle, malgré les efforts de ses compagnons de cartel de l’en empêcher, El Cordobés reprit la muleta pour toréer encore et encore. Avant de porter une estocade qui roula le toro sur le sable. Une corrida finissait, une autre commençait. Celle du délire. André Bazile, le président de cette corrida, attribua les deux oreilles, la queue, et la patte ! Dans un débordement populaire inédit. Seul avant lui, mais en novillada, le 18 juin 1950, Julio Aparicio avait eu l’honneur de recevoir de tels trophées à Nîmes. Mais El Cordobés a-t-il vraiment eu en main la totalité de ses récompenses, combien d’aficionados ont quitté leur siège pour sauter en piste, approcher l’idole du jour et le porter en triomphe ? Personne ne le sait vraiment.
"Il a toréé comme lui seul, nous disons bien lui seul, sait le faire"
Artillero, chroniqueur taurin
Le lendemain de ce raz-de-marée, toute la presse, évidemment, a salué l’événement avec des commentaires à la hauteur du choc vécu. Dans Midi Libre, qui avait bouleversé tout son contenu pour consacrer une page complète à cette corrida, Artillero écrivait notamment : "Il a toréé comme lui seul, nous disons bien lui seul, peut le faire." Et concluait son article par ce chapitre : "Que chacun des spectateurs savoure sa chance d’avoir été présent." Et Vigoroso, dans Le Provençal, ajoutait : "Il nous faudra sûrement quelque temps pour réaliser ce à quoi nous avons assisté."
Depuis ce 17 mai 1964, les témoins de la corrida, un demi-siècle plus tard, en évoquent les images avec une émotion indicible. Elle a gravé dans les mémoires des phases d’exception. Et révélé sans doute, sûrement même, des vocations ou des passions aficionadas…...
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Quinze ans après que la mort de Manolette dans l’arène l’eut élevé au rang de mythe ( 1947 ), la masse orpheline se reconnait dans un iconoclaste joyeux, un Cordouan dont la folie joyeusement débridée répond à l’ivresse d’une Espagne entrant avec frénésie dans la société de consommation par les vertus du Plan Marshall. Torero du régime lui aussi, le vagabond devenu milliardaire symbolise la croissance et chasse en compagnie du dictateur. Il vient pourtant de l’Espagne profonde, et son père est mort dans les geôles de Franco. Manœuvre vagabond, exclu du système, Manuel Benitez, ‘’ El Cordobes ‘’ va pourtant en devenir le maître absolu grâce à l’incroyable pouvoir de séduction qu’il exerce sur les taureaux et sur les foules. Dans l’arène il s’installe au plus près des taureaux : sa distance est celle de Manolette, mais alors que ce dernier ne donnait que des demi-passes, lui enroule le taureau autour de lui, faisant de son toréo, qui tourne le dos à l’orthodoxie, d’un temple extraordinaire et d’un sens du spectacle qui ne l’est pas moins. A cet effet, il se laisse bousculer à dessein par ses flancs pour augmenter l’impression du danger. C’est le ‘’ trémendisme ‘’. Son toréo saccadé, qui ne laisse pas au taureau subjugué un seul instant de répit, souvent forcé et parfois disgracieux, est à l’opposé de celui de d’ Ordóñez ou d’ Antoñete.
Sa technique reste très éloignée des canons classiques : son but est de dominer en permanence le taureau, de le réduire à l’état de comparse. Il lui nie toute autonomie et impose à tous la même distance courte, la même faena immanquablement terminée par un ‘’ molinete ‘’ donné deux genoux en terre et qu’il termine en bondissant au dessus du mufle . C’est le ‘’ saut de la grenouille ‘’ tel qu’il le baptise lui-même . Le public en redemande, et le Codobes ramène bientôt aux arènes ceux qui n’y venaient plus depuis la mort de Manolete. Son intuition naturelle et son courage lui permettent de s’imposer : il est l’axe autour duquel s’articulent les férias, et son pouvoir sur le marché est immense dans la mesure où il remplit toutes les arènes. Malheureusement pour l’évolution de l’art taurin, le Codobes est inimitable. Nombreux furent ceux qui s’y essayèrent. Mais on ne copie pas un génie…
( Extrait du grand livre de la corrida / André VIARD / El Cordobes le retour de l’anarchie ).
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S’agissant de Manuel Benitez El Codobes, les Nîmois, en cette mi-mai 1964, sont encore septiques.
D’accord, c’est un phénomène et il vient de triompher à Séville, mais les aficionados purs et durs qui l’ont vu en 1962 toréer la novillada de la féria gardent le souvenir d’un type plus proche du balai
’’ O Cédar’’ ( dixit le magazine Toros ) que du torero traditionnel : raide, les pieds plantés dans le sable, classique et classieux avec trois hectolitres de gomina sur des cheveux noirs et pégués sur le crâne. Manolo, en 62, à Nîmes a passé son temps à voltiger sur les cornes de ses taureaux et à remonter d’un coup de main, bientôt célébrissime, une chevelure un peu blonde et, horreur et damnation, dépeignée voire abominablement longue ; elle lui arrive jusqu’à mi-nuque comme ces sauvages d’englishes qui sont en train de tourner le sang de nos enfants. Comment vous les appelez
déjà ? les bitoules ? . C’est ça les bitoules . Et bien ce Cordobes c’est un genre des Beatles. On l’a revu en 1963, le ‘’ typhon de Palma del Rio’’ et il n’a toujours pas convaincu les caciques du tendido nîmois dopés à l’orthodoxie, aux trois temps de la passe et marchant aux canons popelinesques.
Mercredi 13 mai, dans le Midi Libre, Artillero, le revistero, s’est fait courageusement l’avocat du diable de Cordoue. Il parle du ‘’ courage de loup’’ d’El Cordobes, de son ‘’ sens instinctif du taureau ‘’, de son ‘’ toreo dramatique et saisissant ‘’ capable de passer du tragique au pittoresque sinon à l’extravagant.
Une impatience populaire que ce jeudi 14 mai à midi, sept bombes libèrent enfin en signalant par la même et bruyante pétarade que Nîmes comme Rome a sept collines.
A 12 heures 15 l’abrivado est menée par Jean Laffont du square Antonin au toril installé devant la maison d’arrêt. Carmen le vendredi soir triomphe aux arènes avec Francine Arrauzeau qui a remplacé Janes Rhodes, Roberto Benzi à la baguette et El Cordobes à la muleta. Il a fait son entrée en calèche, bien travaillé le novillo mais il a raté la mort.
Samedi les choses sérieuses commencent.
A 18 h 30, ce dimanche ‘’ historique’’, la corrida est achevée depuis plus de vingt- cinq minutes, les toreros sont partis, les taureaux sont déjà éparpillés en morceaux dans les figorifiques et les arènes sont encore pleines. Personne ne veut sortir. On chante la Coupo Santo, on pleure, on est stupéfait les vieux aficionados à cheval, sur le citar, templar, mandar, s’embrassent, on ne sait plus trop si l’on a rêvé, on se pince et les plus flegmatiques sont prêts à se rouler par terre. El Cordobes vient de passer par là. Passe encore qu’il ait coupé deux oreilles à son premier taureau, un Felipe Bartolomé plein de caste et de bravoure et qui a fait chuter deux fois le cheval du picador mais c’est au Juan Pedro Domecq numéro 18, le sixième taureau, qu’il a rendu fou Nîmes après s’être fait méchamment prendre.
Combien de temps sa faena a-t-elle durée ? on ne sait pas. Vingt minutes, demi-heure, un siècle, une seconde. Qui toréait ce jour- là avec cet homme déchaîné, immobile, ou comme enivré de lui-même ? Peu importe. Peut on d’écrire ces passes longues, infinies, ce magnétisme, cette folie dionysiaque ? Non.
Ira t’on tenter d’analyser cette sauvagerie sublime que Manolo a exprimé cette inoubliable après-midi-là ? Impossible.
On a tout accordé au Cordobes : les deux oreilles, la queue, la patte, le cœur de Nîmes.
On l’a hissé sur des épaules. Il a remonté le boulevard Victor Hugo comme ça, avec sa mèche folle sur les yeux, son regard halluciné, son grand sourire solaire et carnassier. Toutes les filles sont tombées amoureuses de lui ; tous les garçons se sont jurés que té, ils laisseraient tout tomber, les études, le boulot, l’apéro à la Bourse et le dimanche à Jean Bouin pour se faire toréro. Et toi qui es plus gros tu feras le picador et toi avec des lunettes noires l’apodérado, l’homme d’affaire.
La corrida du lendemain, malgré l’affiche, Litri, Puerta, El Viti , est décaféinée …
pendant qu’El Cordobes, sur sa lancée à Barcelone coupe deux oreilles et la queue.
Madrid l’attend dans deux jours. Il doit y confirmer son alternative …
( Extrait de ‘’ Des toros dans le cœur’’ / Jacques Durand / Hippolyte Romain /
Qui toréait ce jour-là avec cet homme déchaîné ? )
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Il existe sur le Blog un article déjà consacré à Manuel Benitez El Cordobes
Dans ‘’ Hommage au Calife ‘’ la médaille des fondateurs de la féria de Nîmes n’a pas pu lui être remise à l’occasion de notre voyage à Cordoue.
Eric PORTES