La dernière séance
Par Paul BOSC
Rue Emile-Jamais, Le cinéma Majestic vient de crever. Eventré, ses tripes calcinées, à l’air. Les souvenirs d’un jeune garçon, puis d’un jeune homme cinéphile sont écrasés par les engins de travaux publics. Sur l’écran le rideau est tombé. C’est, sans doute, le seul cinéma de Nîmes à avoir été démoli, même si les autres sont devenus des parkings ou des supermarchés.
Dans les années cinquante et soixante du siècle dernier, nous fréquentions une dizaine de cinémas au centre ville : l’Odéon, rue Pierre-Semard, devenu un théâtre. L’ABC, rue Colbert, le seul cinéma permanent où, enfants, nous entrions à la première séance et ne sortions qu’après avoir vu deux fois le film. Je me souviens des Dean Martin et Jerry Lewis, de « Pour qui sonne le glas », de Chartlon Heston portant les tables de la loi. Du silence demandé aux spectateurs qui venaient de voir « Psychose ».
Tout à côté, face au Grand Temple, le Colisée était une immense salle avec balcon qui accueillait aussi des chanteurs de variétés, puis a été divisé en 7. Le Forum, lui, est toujours là. Nous avions vu, lors de sa réouverture « Les Vikings » avec Kirk Douglas et il m’a toujours semblé que les appliques murales ressemblaient à des drakkars. Plus tard « la grande vadrouille » ou « la Fureur de vivre » avaient attiré tous les Nîmois vers la rue Poise, dans cette belle salle.
Le Corona se situait à l’angle de la place de la Couronne. Sa fin de vie en aura vu des vertes et des pas mures situées en dessous de la ceinture pour la projection de films X. En face de lui le Vox, à côté de l’église Sainte-Perpétue. Celui-ci nous plaisait plus particulièrement. Notre bande de copains aimait, à l’époque, non seulement les corridas, mais aussi tout ce qui se passait dans les arènes. Que se soit Carmen ou les chanteurs qui passaient à Nîmes pour leurs tournées estivales. Et nous ne boudions pas notre plaisir, chaque année de voir « Holiday on ice » que Simon Casas a tant critiqué avant de prendre la direction des arènes. Mais nous aimions aussi le péplum avec Maciste et Hercule d’un monsieur univers : Steve Reeves que projetaient cette salle. Ce qui nous attirait c’était la photographie géante, en noir et blanc, d’un paseo dans les arènes de Nîmes avec les trois toreros qui s’avançaient vers la présidence. On aurait dit qu’ils marchaient vers nous. La mémoire est défaillante et, aujourd’hui, je ne me souviens plus de leurs noms.
Au quartier de l’Oratoire, le plus typique cinéma de quartier était l’Olympia, rue Porte de France, aujourd’hui salle de squash qui projetait des westerns de série B, les Tarzan avec Johnny Weissmuller et autres films d’aventure où le jeune public participait à la scène en alertant bruyamment le héros des dangers qu’il courait.
Il y avait aussi l’Eden et le Studio, rue Jean-Baptiste Godin. L’Eden avait été un véritable music-hall avant de devenir cinéma puis le siège d’un mouvement cultuel protestant. Il devrait lui aussi disparaître pour devenir un bel immeuble luxueux et sans doute très cher.
Et puis il y avait le Majestic. Chaque dimanche avec la grand’mère, ma mère réservait des places à l’orchestre et nous avons vu les plus grands films de l’époque, notamment la première projection en « cinémascope », « la Tunique » avec Victor Mature.
Majestic Nimes - Photo darnna.comPhoto
C’était en 1953. Les souvenirs se bousculent pour cette salle obscure : « le monde du silence » et son mérou impressionnant, ses loges discrètes derrière le dernier rang du balcon où les amoureux trouvaient une certaine intimité, les Walt Disney des périodes de fêtes, les chocolats-glacés, le rideau d’annonces publicitaires qui nous permettait de jouer à chercher un mot ou une adresse pendant l’entracte, le Jean Mineur 0001 Paris, les actualités Pathé et le film documentaire ou les dessins animés de la première partie de la séance.
Mais ce qui m’aura sans doute le plus marqué aura été la projection d’un film-documentaire de Pierre Braunberger « la course de taureaux » qui retraçait l’histoire de la tauromachie et ses toreros mythiques comme Luis Miguel Dominguin, Manolete, Litri (père), Chamaco (père), Manolo Gonzales, Julio Aparicio, le Mexicain Arruza. C’était hier. C’était en 1951. Pour inciter les spectateurs du reste de la France et qui n’étaient pas aficionados, l’affiche annonçait 40 mises à mort et 20 accidents mortels.
J'avais 5 ans...
A la fin de la saison taurine, mon père m’a emmené pour la première fois aux arènes pour la dernière course de la saison. Ferdinand Aymé, nettoyait les corrales et après le terrible Vovo, cocardier spectaculaire, des toreros en habit de lumière défilaient au paseo. J’ai eu l’émotion de ma vie de garçonnet et je vois encore toutes les couleurs de cet après-midi d’automne : les capes jaune et rose, la muleta rouge sang, les habits des toreros, les chevaux caparaçonnés, les banderilleros, les picadors. Magique !
C’est peut-être ainsi que l’on devient aficionado.