CHEVAL & TAUROMACHIE au JEUDI DU CERCLE

Publié le par cercletaurin.nimois

Résumé de la conférence

par Dominique VAMARY

 

 

Cheval

 

De l'avis général, la conférence qui réunissait Freddy PORTE et Gabin REHABI autour de Dominique VALMARY s'est révélée passionnante. La solidité du contenu préparé par Dominique, tant sur les plans historique que technique, a été enrichie par l'expérience de Freddy PORTE et le témoignage de Gabin REHABI, d'une grande spontanéité.

 

 

Cheval et tauromachie

La présentation a pour ambition d’évoquer un acteur peu souvent valorisé l’équidé dans la plénitude des usages qui en sont faits dans l’arène ; ils sont incontournables bien sûr en rejoneo mais méritent d’être signalés dans les autres rôles qui leur sont dédiés qu’ils portent l’alguazil ou le picador ou qu’ils traînent la dépouille du taureau estoqué. Remonter le fil de l’histoire aide à la compréhension de leur présence sur le sable encore aujourd’hui et sert de support pour étudier l’actualité et se projeter dans le futur. Deux professionnels ont accepté d’accompagner Dominique VALMARY dans cette entreprise et de présenter leur activité de professionnels en lien avec le cheval :

Freddy PORTES ancien rejoneador français, professeur d’équitation, journaliste et grand connaisseur des races de chevaux.

Gabin REHABI picador de la nouvelle génération qui milite pour l’amélioration du tercio de piques.

 

Photos : Michel CHAUVIERRE

 

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Evolution du contexte social au 20° siècle

Avant la seconde guerre mondiale les équidés sont utilisés par l’armée : ce sont les destriers, les chevaux de cavalerie, les chevaux tirant les pièces d’artillerie ou encore les attelages du train des équipages ; en agriculture ils servent de force de traction ou de bât et dans les transports ils répondent aux besoins collectifs (diligences, fiacres, malle-poste, hallage…) ils constituent aussi les moyens de transport pour les déplacements individuels ou familiaux (attelages, monte) et participent également aux loisirs du fait de la pratique courante des sports équestres ou de la chasse à courre.

Après la seconde guerre mondiale la mécanisation à outrance provoquera la disparition de leur usage domestique compensée partiellement par l’avènement du cheval de loisir  avec le cheval de compagnie, l’équitation verte et le tourisme équestre ; ce sera aussi  le récent et timide retour en grâce du cheval de travail avec les patrouilles vertes de protection de la nature, les patrouilles bleues de  sécurité, le débardage en forêt, ou encore le labourage en maraîchage et viticulture…

En France les institutions que sont les Haras Nationaux, le Cadre Noir de Saumur, l’Ecole Nationale d’Equitation ont joué un rôle essentiel dans l’amélioration de la race chevaline, le maintien des traditions dont la haute Ecole Française et bien sûr l’émergence d’un corps d’enseignants prenant le relai des moniteurs issus de l’armée. Elles ont permis de négocier au mieux cette transition radicale.

 

Impact de l’histoire de la tauromachie sur l’utilisation du cheval 

Réalité ou légende il est convenu par les historiens de considérer Rodrigue Diaz de Vivat dit « el Cid Campeador » comme ayant été le premier chevalier à avoir combattu les taureaux armé d’une lance ; c’était au XI° siècle. Ce type d’exhibition deviendra le sport des nobles, les Grands d’Espagne, qui utilisent l’affrontement du taureau pour éprouver leur bravoure ; parmi ceux-ci Charles Quint, Philippe II ou Francisco Pizzaro, le conquérant du Pérou sont fréquemment cités. Ils pratiquent le toreo de rejon en cherchant à frapper leur adversaire à la nuque. A l’issue de ce jeu avec les fauves ce sont les péons qui les exécutent dans des conditions diverses et que nous pourrions qualifier parfois de peu loyales. Ce toreo chevaleresque s’exerce par deux moyens : la lanzada et le rejon.

ü  La lanzada, relatée au XVI° siècle, se pratique de trois manières :

L’appel de la charge se fait, le taureau étant attendu de face ; la lance est tenue dans l’axe du corps du cheval ; cette suerte est qualifiée de« hardiesse téméraire » ;

L’attente intervient avec l’équipage placé à l’oblique par rapport à la course du taureau, soit à la gauche pour un droitier ; dénommée « al estribo » c’est la plus utilisée ;

L’appel est fait en présentant la croupe du cheval au taureau et est suivi d’une volte rapide pour se retrouver face à celui-ci; jugée peu honorable parce que manquant de respect pour l’adversaire elle est peu pratiquée.

La lanzada, armée d’une pointe de fer, est un exercice éprouvant et d’autant plus physique que le cavalier appuie la base de la lance contre sa poitrine pour soutenir le choc, d’où le fait que les chevaliers sont fréquemment désarçonnés.

ü  Le rejon supplante la lanzada au XVII° siècle.

 La force physique est en effet moins prisée que l’adresse, l’agilité et les qualités équestres exigées par la pratique du rejoneo. Le rejon est plus court que la lance et doit se briser après l’impact. Il se pose plusieurs rejons par taureau. Dans cet exercice le chevalier est accompagné de nombreux péons : de 6 à 24 en moyenne et parfois même jusqu’à« 101 laquais » lors de corridas royales d’où une parade ostentatoire devant respecter un code dit : « code du bien paraître ».

ü  Au XVIII° siècle Philippe V

Interdit aux nobles de pratiquer la corrida et leur salariat d’où l’émergence des toreros rémunérés. Pendant plusieurs décennies ce sont les varilargueros qui domineront ; ils sont aussi dénommés « les piquiers » et succèdent aux lanciers. Le toreo à pied se développera et se structurera à partir des jeux taurins jusqu’à aboutir à la corrida que nous connaissons laquelle sera codifiée au XVIII° siècle. Il y aura aussi une évolution de la pratique du varilarguero ouvrant la voie à la reconnaissance du picador. Pendant plusieurs décennies les varilargueros dominent le torero à pied en tenant la première place dans la hiérarchie de la corrida, les  salaires et les  costumes en attestent ; aujourd’hui les traces de cette filiation sont présents chez le picador qui partage avec le matador le privilège d’orner son habit de fils d’or ; ils laisseront ensuite la primauté aux toreros lorsque l’estocade « a volapie », inventée par José Rodriguez Costillarès, fait d’eux les nouvelles vedettes du spectacle.

 

La tauromachie espagnole à cheval va connaître une longue éclipse de 150 ans. La renaissance du rejoneo interviendra dans le premier tiers du XX° siècle avec  Antonio Cañero (1885 – 1952), officier de cavalerie né à Cordoue et aficionado practico qui va faire ré-émerger le rejoneo; il en fait son métier en 1925 et se retire des ruedos en 1935. Il en codifiera la pratique avec quelques créations : en cas d’échec du rejon de muerte, l’estocade se fait par le rejoneador à pied muleta en main ou encore l’adoption du traje campero pour officier. Côté people : il rencontre Musidora (née Jeanne Roques) la première vamp du cinéma muet (Judex, les vampires…) une artiste découverte par Louis Feuillade, le prolixe scénariste, réalisateur et directeur adjoint de la compagnie Gaumont, originaire de Lunel. Musidora  réalise elle-même et joue plusieurs films tournés en Espagne où figure son compagnon Antonio Cañero, en particulier « la tierra de los toros », film récemment restauré et présenté en 2012 à la cinémathèque de Toulouse. (Film en 5 tableaux : 1. La vie d'un ganadero, la veille d'une corrida. 2. La corrida, le Rejoneador. 3. La laide. 4. Métamorphose. 5. Epilogue). Le rejoneo connaîtra une nouvelle éclipse jusqu’à l’arrivée dans les ruedos d’Alvaro Domecq Diez et en France d’Albert Lescot et Emma Calais.

 

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Les utilisations du cheval dans les arènes 

Les usages historiques qu’ils soient militaires ou domestiques  trouvent leur place et leur adaptation dans l’arène : le cheval de paseo; le destrier, ce cheval de guerre apte à porter l’armure et le chevalier lui-même protégé pour le tercio de piques ; le cheval de travail au campo pour le rejoneador; le cheval de trait attelé à l’arrastre.

 - Le cheval de l’alguazil est issu du cheval de paseo, adapté à la promenade ou au dressage : le cheval est la monture destinée à porter dans l’arène le dépositaire de l’autorité ; de ce fait il est associé à l’idée de maîtrise, d’ordre et de rectitude, « calme en avant et droit » selon la maxime du Général Lhotte ; sont à  apprécier le modèle et les allures du cheval. Sont privilégiées les races à la ligne harmonieuse gracile  aptes à la souplesse et à la soumission d’où la présence dans l’arène de lusitaniens ou andalous parfois remontés de sang arabe ou pur-sang. Aujourd’hui le niveau de dressage des chevaux de paseo ou la maîtrise de la conduite par certains alguazils laissent souvent à désirer : on voit trop souvent des chevaux en désordre et trop peu souvent des chevaux réellement sur la main, c’est à dire aux ordres. 

 - Le cheval de piques est issu du destrier, le cheval de guerre menant le cavalier en armure à la bataille:  au 20° siècle il est passé du cheval accessoire (il porte le picador au contact et y laisse souvent sa vie) au cheval obstacle opposé au taureau (ce cheval, lourd et plutôt statique, couvert de son armure, le caparaçon, est souvent assimilé à un mur contre lequel vient se fracasser le taureau). Ces dernières années on assiste au retour du cheval athlète accompagnant l’évolution du tercio de piques et portant  un piquero devenu picador-torero. Désormais le picador doit être en priorité un cavalier maîtrisant ce que l’on appelle « la basse école » pour savoir utiliser les équilibres et déséquilibres du cheval par la conduite de la seule main disponible, la gauche, d’où l’importance  des aides que constituent l’assiette, la rêne d’ouverture et la rêne d’appui. L’évolution du matériel, la fixation du type avec le croisement de chevaux de trait et de lusitaniens, le dressage à l’arçon et avec le taureau manso permet au picador de disposer d’une monture aux ordres de son cavalier, mobile et surtout maniable. Le niveau élevé atteint en matière de préparation  rend l’aveuglement du cheval inutile et impose à l’homme un entrainement physique adapté. Les prix de la meilleure pique sont appréciés des picadors qui acceptent cette mise en compétition.

 – Le cheval de rejoneo issu du cheval de campo:

Indéniablement il existe un lien avec le travail au campo lors du maniement du troupeau et le tri du bétail, de plus les suertes font appel au dressage de « haute école ». Ainsi le cheval devient un athlète de haut niveau et un artiste qui ne peut pas s’exprimer sous la contrainte ; le rejoneo exige harmonie et totale confiance des deux acteurs dont l’image du centaure est la plus utilisée et la plus fidèle. Cela se voit particulièrement  lors de la pose des banderilles à deux mains où ne peuvent jouer que l’assiette et les jambes du cavalier… Le choix des chevaux repose sur les qualités générales de courage (le cheval qui maîtrise ses émotions et n’est pas sur l’œil), d’engagement, de soumission aux aides, sur les qualités athlétiques et de modèle. Par ailleurs une sélection encore plus fine aboutira à la spécialisation selon l’usage qui est attendu: paseo, salida, rejon de châtiment, banderilles longues, banderilles courtes et rejon de muerte. A cette fin les origines privilégiées….

 - L’arrastre (chevaux de trait ou train de mules ou de mulets) :

C’est l’image la plus nostalgique de la corrida en deux versions : les mules ou les mulets rappelent le côté domestique de l’exercice ; elle est l’image la plus datée par le recours à un attelage moins coûteux qu’un attelage de chevaux. Le maintien de l’arrastre participe au maintien de la diversité des espèces dans un rôle opérationnel effectif qui mérite d’être souligné.

 

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Les tendances au 21° siècle

Dans une nouvelle de science fiction  intitulée « les larmes de l’Abuelo » Jacques Lanfranchi situe l’action en 2050. La corrida existe toujours  mais son déroulement ne manque pas d’étonner ; ainsi le tiers de piques a été adapté : « Deux hippo-immobiles : Relampagito de Honda et Tafalla de Seat (dans le cadre des accords hispano-nippons). Les hippo-immobiles remplacent les chevaux (décision de la SPA mondiale mars 2015) ». Il évoque ensuite la pique qui est servie depuis le callejon sous la forme d’une impulsion électrique ; de quoi illustrer parfaitement le titre.

 Aujourd’hui les attentes de l’aficion sont partagées entre tradition et progrès ; il y a confrontation entre le classicisme nostalgique et les évolutions sociétales, économiques surtout,  qui sont inéluctables et souvent irréversibles exigeant une adaptation à la modernité ; c’est un vaste débat. Pour les piques beaucoup de modifications sont intervenues ces toutes dernières années en matière de matériel par l’usage du kevlar ; en matière d’encaste équin avec une tendance marquée pour le croisement de chevaux de trait (breton, comtois, percheron, cob) avec du cheval de sang (arabe, anglo-arabe, pur sang), dans le respect du poids minimum prévu par le règlement et surtout par leur dressage à haut niveau. La mobilité et la maniabilité des montures exigent que les picadors deviennent d’excellents cavaliers. Le cheval de piques est (re) devenu un cheval athlétique au service du picador-torero. Les années à venir devraient voir se généraliser les pratiques amorcées par certains et se consolider des acquis précieux. Le travail effectué en France est envié par nos voisins espagnols. Désormais on voit de plus en plus souvent le tercio de piques recueillir les applaudissements du public ; c’est un signe intéressant.

L’écurie du rejoneodor est composée de chevaux de plus en plus spécialisés dans leur rôle propre, le niveau de dressage exigé s’oriente vers encore plus de professionnalisme. Les coûts engagés pour entretenir une écurie sont à rapporter au faible nombre de spectacles organisés ; mais il y a un public fidèle.  De la discussion qui s’écarte du sujet il ressort que le côté spectacle du rejoneo domine et que les taureaux mériteraient qu’un effort soit fait en matière d’encastes et de présentation. A ce sujet un point positif mérite d’être souligné puisque Diego Ventura a affronté à l’automne dernier six taureaux d’encastes différents dont un Miura.

 

Pour conclure il est rappelé que les amateurs pourront assister cet été à un spectacle rare : la  présentation de quatre écoles d’équitation de haute école dans les arènes d’Arles : le Cadre Noir de Saumur, l’Ecole Royale Andalouse, l’Ecole Espagnole de Vienne et l’Ecole Portugaise d’Art Equestre.

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